J’ai toujours senti les tempêtes arriver… Tout le monde vaque à ses occupations sans sembler se douter de rien alors que pour moi, chaque parcelle du monde est en émoi, comme électrisée. L’air est aussi pesant que d’habitude mais il est plus chargé et poussiéreux. Le ciel est toujours obscurci par la pollution et la surenchère de buildings, mais le peu qu’il laisse transparaître est sombre et teinté de jaune sale. Un œil simplement attentif, une ouïe peut-être un peu plus fine que les autres, un nez inspirant l’air vicié et lourd aurait analysé les signes et en aurait déduit la suite… Ça puait les emmerdes !!!
Le bar dans lequel je travaillais semblait sentir ma tension, les clients des bas fonds de Némeraude étaient plus exigeants que d’habitude, avaient les mains plus baladeuses… Comme s’ils cherchaient l’accrochage… Une échauffourée même avec une serveuse les tentaient… Pourtant cela faisait bien longtemps que je ne me rebellais plus contre les éléments, la foi, la vie… On m’avait tout pris, que me voulait-on encore ?! Sortir, il me fallait ma dose.
– Sam ! Je te laisse mon tablier, je prends une pause !
– (Derrière son comptoir, Sam, le géant sombre me regarda gêné) Euh, c’est pas encore ta pause… (un regard l’arrêta net) Mais bien sûr, pas de problèmes, je m’occupe des clients… prends ton temps hein !
Sam était un gars gentil. Il m’avait ouvert sa porte, son lit et surtout ne m’avait jamais rien demandé. J’avais un toit, un travail et assez de deniers pour me payer de la dope et tout oublier…
Je sortis par la porte de derrière et montais par l’escalier de service sur le palier nord, une sorte de petit balcon en fer forgé, rongé par la rouille, qui avait l’avantage de donner sur une décharge, certes malodorante, mais déserte. Je pouvais m’adonner à mon vice sans être obligée de soutenir le regard affligé des badauds.
Je m’assis sur un vieux bidon recouvert d’une couverture épaisse, assez confortable somme toute, le dos collé au mur frais du bâtiment. Une bouffée de Keeryahn et je partis bien loin de cette mégalopole surpeuplée. Je me vis plus jeune au bras d’un homme diablement beau… ça sentait la forêt, l’air frais et une fragrance légèrement musquée… la chaleur du timide soleil matinal sur la peau… l’abandon…
Ca y est la dope faisait effet, je ne vis plus qu’un grand trou béant et m’y jetais avec délice et peut-être une certaine dose de désespoir… Quel espoir de rédemption pouvais-je attendre de toute manière ? Une petite fille aux cheveux blonds comme les blés s’approcha de moi… Elle était pleine de vie, souriante et si belle… Elle me caressa la joue de sa main potelée… Image soudain plus floue disparaissant petit à petit comme une bribe de mémoire que l’on refuse… Adieu fillette… Un jour peut-être…